Friday, December 15, 2006

Charles Gueboguo et l'homosexualité en Afrique

À l'heure où beaucoup d'Africains considèrent encore l'homosexualité et la bisexualité comme un fléau occidental propagé par la colonisation en Afrique, ou comme une pratique liée à des cercles ésotériques, l'ouvrage du sociologue camerounais Charles Gueboguo est un pavé dans la mare des préjugés.


Né le 23 mars 1979, Charles Gueboguo vient de publier le premier ouvrage de sociologie consacré à l'homosexualité en Afrique sub-saharienne. Il s'agit d'un travail de fond, étendu sur plusieurs années, une démarche de pionnier et un acte de courage qui laisseront une profonde empreinte dans la sociologie africaine tout en contribuant à l'évolution des mentalités.


En Afrique, le thème du suicide lié à l'homosexualité, ne fait tout simplement pas partie des centres d'intérêt actuels des chercheurs. En outre le phénomène de l'homosexualité, reste encore mal connu et largement marginalisé. En effet, dans ces sociétés, l'homosexualité est largement déniée. Comme argument, on fait appel au vide conceptuel et linguistique qui entoure cette orientation sexuelle. Le raisonnement devient alors : comment parler de quelque chose qu'on ne peut même pas nommer dans les langues vernaculaires locales ? S'il n'y a pas de mot pour désigner une chose, n'est-ce pas la preuve que cela n'existe tout simplement pas ? Et si l'on ne peut pas nommer l'homosexualité, on peut encore moins évoquer ses conséquences comme par exemple le suicide chez les homosexuels... Non seulement l'homosexualité n'existe pas dans le vocabulaire, mais elle est aussi niée par le domaine politique qui la condamne farouchement. En effet, l'article 347 bis du code pénal camerounais stipule clairement que tout individu qui a des rapports sexuels avec une personne de même sexe est passible d'une peine d'emprisonnement de 6 mois à 5 ans et d'une amende de 20000 à 200000 FCFA.


Cependant, l'étude récente menée par Gueboguo prend le contre-pied des idées reçues et met clairement en exergue l'existence de l'homosexualité en Afrique en général et au Cameroun en particulier. Selon lui, l'homosexualité au Cameroun ne relève pas du mythe, car il s'agit d'une réalité bel et bien observable. Les homosexuels forment aujourd'hui dans ce pays une sorte de communauté plus ou moins cohérente, d'ailleurs ils ont leur propre marché sexuel. Par ailleurs, face à la rigidité sociale, l'auteur a pu constater qu'ils ne se suicident pas pour autant. En effet, ceux-ci ont plutôt développé une stratégie de camouflage de leurs activités sexuelles réelles. C'est ainsi que, bien qu'ils s'identifient et s'acceptent comme homosexuels, certains d'entre eux, pour faire bonne figure, ont également choisi d'entretenir des rapports factices avec des partenaires de l'autre sexe. D'autres sont même allé jusqu'à établir des unions officielles avec ces partenaires de circonstance, tout en ayant une activité sexuelle intense avec leur partenaire habituel ou autres.Ainsi, ce qui semble être un paradoxe n'est en réalité qu'un moyen, une astuce pour tromper la vigilance de l'entourage proche, et ça marche toujours. A Yaoundé, les homosexuels désignent ce type de partenaire de façade sous le terme de « nfinga ». C'est la traduction dans l'une des langues locales du mot « couverture », et cette expression révèle bien qu'il s'agit d'une mascarade pour se couvrir et assurer ses arrières, pour ne pas sortir du « nkuta » comme ils disent. En français, on parlerait de sortir du placard. Ce camouflage sert éviter tout recours au suicide, puisque grâce à sa couverture, l'individu est accepté et réintégré dans son milieu d'appartenance. L'homosexualité au Cameroun est aussi étroitement liée à la sorcellerie.


De tout ce qui précède, il ressort que l'attitude sociale réprobatrice vis-à-vis de l'homosexualité peut être un facteur majeur, mais pas principal, de suicide chez les homosexuels. Cependant, le Cameroun a ceci de particulier que face à cette hostilité, les homosexuels ne pensent pas au suicide. À la place, ils préfèrent jouer le jeu que la société leur impose, en se dotant d'un partenaire de l'autre sexe pour se faire accepter, tout en maintenant leur activité homosexuelle de manière cachée. C'est que Charles Gueboguo désigne comme une stratégie de camouflage.En raison de l'homophobie ambiante au Cameroun, il faut souligner les menaces d'agression physique, les insultes et la pression sociale dont est victime Charles Gueboguo, qui a dû s'éloigner de sa famille pour ne pas la mettre en danger. Il faut également souligner la solitude extrême d'un jeune homme attaché à sa terre natale, et saluer son courage et sa dignité, qui ouvriront la voie à d'autres personnes sur le continent africain.

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